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Les synthèses de Robert
2 juillet 2016

LE FERME DE MON ENFANCE

Saint-Appolinard (Loire)

 

 

Aux confins de la Loire, frontalier de l’Ardèche,

Il existe un village qu’on appelle Saint Appo,

Mais par simple apocope car l’usage du vrai mot

Est Saint-Appolinard, mignon comme une crèche.

 

C’était en cinquante-sept et au septième mois ;

Ma mère était enceinte et tout près d’accoucher.

Pour la laisser tranquille on m’avait emmené

Passer là quelques jours pour un séjour de choix.

 

Et moi j’avais six ans lorsque j’étais parti

Avec ma mamie Jeanne, la maman de maman,

Et je ne savais pas, alors petit enfant,

Que tout serait gravé, à jamais, pour la vie.

 

J’étais un citadin, mais la ville, en ce temps,

Offrait aux habitants un charme très humain.

On voyait peu d’autos, on aimait ses voisins,

On respectait les autres qui en faisaient autant.

 

Malgré une qualité de vie que j’adorais,

Et malgré mon jeune âge, j’avais pu constater

Que la ville et le bourg étaient différenciés

Par la fraîche campagne, les fleurs et les forêts.

 

C’est donc dans une ferme en pleine activité

Que j’ai vécu, un temps, au rythme paysan.

Mes yeux écarquillés n’étaient pas assez grands

Pour embrasser ce monde empreint de vérité.

 

Je me rappelle bien, comme si c’était hier,

De tout ce que j’ai vu, senti et entendu.

Et tous mes souvenirs, délicats, ingénus,

Resteront avec moi jusqu’à la mise en bière.

 

Je me rappelle bien de la ferme imposante,

Campée sur deux niveaux avec cour intérieure.

Et c’est là que les jours égrenaient le bonheur

Des hommes et des bêtes dans une vie si lente…

 

Je me rappelle bien de ces matins discrets,

Quittant tout doucement le monde de la nuit,

Où je me réveillais avec les premiers bruits

Que j’entendais, feutrés, de mon lit très douillet.

 

Et puis je me levais pour aller déjeuner

Dans la grande cuisine où s’affairaient les femmes ;

Et là, on m’amenait, sans que je les réclame,

Du bon lait frais tiré et du bon beurre fermier.

 

Et puis on me coupait de grosses tranches de pain,

Un bon vieux campagnard à la mie toute grise,

Sur lesquelles le beurre s’étendait à sa guise

Avec des confitures au goût vraiment divin.

 

Les journées s’écoulaient très pleines et très denses,

Et je participais aux travaux de l’été,

Dans cette ferme amie qui avait su m’aimer,

Et je savais très bien que c’était une chance.

 

Et avec mes cousins, on allait ramasser

Des légumes au jardin pour faire de bonnes soupes ;

Nous remplissions de fruits une très grande coupe ;

Les goûts et les couleurs étaient très raffinés.

 

Dans un coin de la cour, il y avait une soue ;

Les cochons en sortaient parfois pour gambader.

Ils grognaient sourdement et adoraient manger

Tout ce qu’ils rencontraient, y compris les cailloux.

 

Dans un autre recoin, il y avait les chèvres

Qui semblaient tout heureuses quand je venais, le soir,

Pour leur donner du sel, et j’adorais les voir

Approcher vers ma main leurs chaudes et douces lèvres.

 

Ca bêlait, ça grimpait, ça sautait dans l’enclos.

J’observais, médusé, leurs beaux yeux en amande

Foncièrement gentils et qui semblaient l’offrande

De leurs cœurs attendris, toujours purs, toujours beaux.

 

Et puis, juste à côté, c’était le poulailler

Où je prenais plaisir à courir de partout

Et à mettre en émoi, et à rendre un peu fous

Et les petits poussins et les gallinacés.

 

Ca n’était pas méchant, je voulais m’amuser,

Et puis ça durait peu, car j’aimais beaucoup voir,

Le calme revenu, sur les petits perchoirs,

Cette communauté en train de caqueter.

 

Plus loin, c’était l’étable au plafond un peu bas,

Avec toiles d’araignées et beaux nids d’hirondelles ;

C’était sale, c’était chaud, mais je la trouvais belle,

Et ses fortes odeurs ne me déplaisaient pas.

 

Il y avait un troupeau d’une dizaine de vaches.

J’étais impressionné par leur démarche lente

Et par leur poids énorme qui les rendait géantes ;

Je devenais alors un gamin un peu lâche.

 

Un jour de grand beau temps, les femmes décidèrent

De laver tous les draps ; alors, dès le matin,

Elles sortirent des baquets et des brosses à gros crins

Et allèrent s’installer dans le champ de derrière.

 

Et la journée durant, ça n’était que bruits d’eau

Et frottis appuyés, accompagnés de chants

Qui semblaient alléger le poids de ces instants

Très durs et fatigants sous un soleil très chaud.

 

Et malgré la chaleur, elles avaient préparé

Un grand feu de feuillages et de vieux bois très sec ;

Et je me demandais : « Qu’allaient-elles faire avec ? »

Tout ceci excitait tant ma curiosité !

 

Je ne questionnais pas ; j’observais en silence.

Et j’ai vu, stupéfait, sur les draps bien lavés,

Etaler de la cendre comme pour les souiller ;

C’était pour augmenter douceur et élégance !

 

Et puis un soir d’orage où il faisait très chaud,

Où de gros nuages jaunes s’étaient amoncelés,

Tout gorgés de grêlons prêts à tout ravager,

Les hommes décidèrent d’intervenir là-haut.

 

Et une fois encore, je n’avais rien compris.

Je les ai vus sortir des pics et des masses

Et des grosses fusées, et puis chercher la place

Qui conviendrait le mieux pour poser leur fourbi.

 

Ils plantèrent les pics dans le champ de derrière

Et fixèrent les fusées au sommet de chacun ;

Et puis ils envoyèrent, dans le ciel presque brun,

Leurs messages mécontents éclatants de lumière.

 

Et l’orage de grêle, plus loin, s’en est allé.

C’est alors que j’ai vu, radieux, sous les casquettes,

Des regards qui brillaient et qui voulaient qu’on fête

La victoire sur le sort qu’ils avaient conjuré.

 

Ils allèrent à la cave où de très gros tonneaux

Etaient remplis du vin que leur donnaient leurs vignes.

Et c’était là, vraiment, un honneur très insigne

Que de boire avec eux ce picrate un peu chaud.

 

Ils s’étaient attardés jusqu’à presque minuit,

A siroter ensemble cette infâme piquette,

Seulement éclairés par les flammes guillerettes

De deux ou trois bougies qui dansaient dans la nuit.

 

Un jour, le patriarche, personnage truculent,

M’emmena avec lui pour ratisser le blé

Resté dessus le champ, car s’étant détaché,

Des gerbes préparées par les hommes et les grands.

 

Nous y étions allés avec une charrette

Tirée par deux gros bœufs reliés par un joug ;

J’étais le plus heureux ; c’était rien, c’était tout !

Que de beaux souvenirs engrangeaient mes mirettes !

 

Le dimanche, tout le monde devait suivre la messe ;

Et nous partions ensemble à l’église du village,

Et chacun discutait et, sous un beau ramage,

Nous arrivions alors sur la grand’ place en liesse.

 

Les femmes tout en noir et en souliers vernis ;

Les hommes cravatés et bien rasés de près,

Avec leurs beaux gilets et leurs montres à gousset,

Tous étaient très fiers car tous étaient très bien mis.

 

L’exercice du culte une fois terminé,

Les femmes remontaient pour finir le repas,

Les hommes s’attardant dans le café du bas

Pour discuter le coup et boire des blancs limés.

 

Le repas du dimanche était impressionnant.

Pour l’énorme tablée, c’était un rituel.

Et c’était le seul jour où Dieu fut moins cruel

Tolérant que chacun prît un peu de bon temps.

 

Je me faisais discret, tous les sens en éveil,

Pour ne pas perdre un brin de toute cette vraie vie

Que j’avais découverte et qui m’avait ravi

Et brillait d’un éclat à nul autre pareil.

 

C’est surtout les senteurs qui m’avaient fasciné :

Le pain à la mie lourde et qui fleurait très bon

Emboîtant bien le pas au goûteux saucisson

Venu tout droit du porc gras tué en janvier.

 

Et ces belles salades, et ces fières pommes de terre,

Et ces haricots verts, ces superbes courgettes,

Et ces beaux petits pois amenés par cagettes ;

Je dévorais tout ça creusé par le grand air !

 

De tous ces beaux instants, j’ai voulu témoigner,

Car depuis leur vécu, je les ai dans le cœur,

Et souvent ils reviennent m’apporter le bonheur

Que mes vieux souvenirs semblent ressusciter…

 

J’étais petit garçon mais ma mémoire est telle

Que chacun des détails nourrissant ce séjour,

Dans ce coin de campagne tout imprégné d’amour,

Me revient de façon vraiment nette et très belle.

 

Et malgré les années, on dirait que le temps

Ne s’est point écoulé car il n’a pas couvert

Du voile de l’oubli ce passé encore vert

Et que j’ai adoré lorsqu’il était présent…

 

Robert FAUCHER, le 21 octobre 2004.

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