Un jour j’ai décidé de faire un grand tableau

Mais sans peinture à l’huile ni peinture à l’eau.

Mes tubes de couleurs, c’était mes simples mots

Me servant à teinter et le laid et le beau.

Avant de commencer, j’ai fait mon inventaire :

Il me faut des pinceaux : mes stylos font l’affaire ;

Penser à la palette : mais pour ça, j’ai ma tête ;

Sans oublier la toile : ma feuille est déjà prête.

Mais après l’inventaire, il m’a fallu choisir

Dans toutes les couleurs, la première qui m’inspire.

Après avoir opté, tout était donc paré ;

Je choisis mon outil pour aller le teinter.

Je pouvais commencer et ne m’en privai pas.

C’est avec émotion que j’avançai les doigts

Jusqu’à ce que l’outil caressât le papier ;

C’est la première pierre qu’il venait de poser.

Elle était très jolie, elle était jaune clair,

Comme un petit poussin jamais loin de sa mère.

Elle rappelait l’enfance et son côté douillet,

Soyeux et très léger, délicat à souhait.

Cet élan m’incita à poser la seconde,

Juteuse tel le fruit, très orange et très ronde.

C’était bien la jeunesse qu’elle voulait signifier

Avec toute la sève dont elle était gorgée.

La troisième était aussi rouge que le sang

Imposant la force et le respect tout autant.

C’est la maturité qu’elle osait suggérer

Et la grâce de l’âge intimement mêlées.

La suivante se trouvait teintée de marron

Par le jeu vivant de la ronde des saisons.

Car c’est bien la vieillesse qu’elle aimait égayer

En faisant ce marron ou clair ou bien foncé.

Au fur et à mesure, ma toile se teintait.

J’eus soudain le besoin de rester en retrait

Pour laisser mon regard partir en éclaireur

Et ramener à moi tout son lot de bonheur.

Il me dit, au contraire, que toutes ces couleurs

Traduisaient bien plutôt différentes valeurs.

Je me suis demandé comment il fallait faire

Pour tenter de trouver les tons complémentaires.

A force de languir dans une quête vaine,

A creuser mon esprit sans que cela ne vienne,

J’ai d’un coup décidé de ne plus réfléchir

Pour écouter mon cœur, ses joies et ses soupirs.

C’est alors que ma main s’est sentie emmenée,

Très délicatement, vers la vraie pureté.

Et c’est un joli blanc, lumineux et câlin,

Qui vint envelopper le beau jaune poussin.

Et je l’ai laissée faire, la voyant s’approcher

D’une toute autre couleur qu’elle voulait ramener.

Puis elle a maculé l’orange d’un beau bleu

Rappelant le bien-être de la mer et des cieux.

Elle a continué en teintant le marron

D’un joli vert très cru, elle avait bien raison,

Car cela redonnait de l’éclat, de l’espoir,

A ce bon vieux marron, dans son calme du soir.

J’appréciais beaucoup la peinture du cœur...

Puis elle s’est arrêtée, me laissant tout rêveur !

Je n’avais plus le choix et pour continuer

J’ai vraiment réfléchi avant de me lancer.

J’ai pensé que le beige était très romantique

Et que chaque couleur, ma foi, fort sympathique

En méritait un peu, et j’ai donc appliqué

Des touches délicates aux endroits souhaités.

J’ai pensé que le rose signifiait douceur,

Et que tout un chacun, y compris mes couleurs,

Ne me refuserait ce vrai don généreux ;

J’en ai donné à toutes en faisant de mon mieux.

Et pour moi le doré est l’émissaire du cœur ;

Je pensais les faire toutes profiter du bonheur.

C’est pourquoi sur chacune j’en avais déposé

Et puis même à côté, pour ne pas en manquer !

J’étais content de moi et pour mieux apprécier,

Je me suis reculé pour voir l’œuvre achevée.

Quand je l’ai regardée, j’en suis demeuré coi ;

Elle était bigarrée et fouillis à la fois !

Alors je me suis dit que peindre avec les mots

N’était que le délire d’un poète un peu sot !

J’avais juste oublié que les noms des couleurs

Sont indéfinissables, ne touchent que le cœur… !

Essayez de penser à ce que vous diriez

A l’enfant qui viendrait soudain vous demander :

« Dis, c’est quoi le violet ?... Le marron ?... Et le vert… ? »

…Je vois votre embarras devant ces grands mystères… !

C’est vrai que les couleurs ont en elles un secret ;

C’est celui d’exister par l’émotion qu’elles créent.

Voyez les daltoniens admirer les champs rouges,

Les verts coquelicots et la mer jaune qui bouge… !

Et qui donc a raison dans cet imbroglio ?

Et qui donc a dit vrai, et qui donc a dit faux ?

On se rend compte ici que tout est sensation,

Que tout est sentiment, que tout est émotion.

Et tout bien regardé, mon tableau bigarré

N’a pas pu se trouver un peu moins coloré,

Car le jeu des couleurs, c’est le jeu de la vie,

Et le jeu de mes mots, et bien ça l’est aussi… !

Robert FAUCHER le 22 octobre 2004.

PEINDRE AVEC LES MOTS

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