LE DISCOURS DES VENTS
Un jour, dans la montagne au relief escarpé,
Après avoir marché depuis un long moment,
J’ai senti le besoin de souffler un instant
Avant de repartir vers un monde enneigé.
Je cherchai, alentour, un endroit un peu plat
Qui s’offrirait à moi et voudrait m’accueillir.
C’est alors que j’ai oui comme un profond soupir ;
Il venait d’un rocher un peu en contrebas.
Je m’approchai de lui et il m’ouvrit son cœur.
Il était allongé au bord d’un grand ravin.
Je me suis étendu sur lui et j’étais bien…
Sa froideur minérale était un chaud bonheur !
Je laissai mon regard s’abreuver d’infini,
S’accrocher sur des pics très fiers, droit devant moi,
Et puis plonger soudain, avec un grand effroi,
Au fond du précipice, tout brumeux et transi.
Mon esprit embrassait cet éden éthéré,
Quand une brise fraîche, à moi, est parvenue.
Elle venait m’annoncer, haletante et émue,
Que les vents la suivaient et voulaient me parler.
Je sentis, tout à coup, un souffle très puissant
Que je reçus de face, faisant cligner mes yeux.
Et j’entendis alors, surgies tout droit des cieux,
Des paroles très froides et ainsi commençant :
« On m’appelle Aquilon parce que je viens du nord.
J’ai beaucoup à te dire mais je n’ai guère de temps,
Car l’arrêt de mon souffle pour un trop long moment
Equivaudrait pour moi à mon arrêt de mort.
Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées
Sans vie et sans couleurs, où domine le blanc.
Pourtant il y fait noir de nombreux jours par an
Et quand il y fait jour, on dit que c’est l’été.
Les hommes n’habitent pas un endroit aussi froid,
Hormis les esquimaux appelés inuits,
Qui en sont les seigneurs et qui ont comme suite
Des phoques et des huskies et des rennes aux longs bois.
Ce grand désert glacial était un paradis
Jusqu’à ce qu’un beau jour, certains « civilisés »,
Se croyant supérieurs, ont voulu enseigner
Ces braves autochtones qui avaient tout compris.
Ils leur ont amené alcool et cigarettes
Et bien d’autres poisons et tant de maladies,
Et l’argent qui corrompt et les jeux, les paris,
Et tout ce qui pouvait leur faire perdre la tête.
Je suis triste, vois-tu, de devoir repartir
En ayant témoigné de tous ces vilains maux
Dont je suis tout gorgé quand je viens de là-haut,
Mais je dois te quitter, sinon je vais mourir. »
C’est alors que, soudain, je sentis dans mon dos
Le souffle d’un vent chaud qui semblait épuisé.
Il avait dû peiner pour autant haleter,
Mais arrivé à moi, il prononça ces mots :
« On m’appelle l’Autan parce que je viens du sud.
Je suis très fatigué, desséché, mais crois-moi,
Je suis le messager de très nombreuses croix
Et mon temps est compté et mon cap est très rude.
Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées
Où la vie et la mort jouent toujours à cache-cache,
Où la loi des machettes et où la loi des haches
Font office de règles à tant de sociétés.
Le désert est partout, trop aride et brûlant.
Tout y est décharné : les hommes et puis les bêtes,
Les femmes et leurs seins plats reposant sur la tête
De leur petit enfant déjà, souvent, mourant.
Et dans bien des pays, le sida fait ravage.
Au milieu des malheurs, des grandes turpitudes,
On essaye d’oublier que la vie est trop rude
En jouant à l’amour ; ça finit en carnage…
Parfois des génocides font des tas de tués,
Et les « civilisés » ne voient rien à redire,
Parce que dans ces pays où se produit le pire,
Les sous-sols n’offrent strictement rien à gratter !
Mon cœur est très amer de devoir te quitter
En ayant déversé dans le tien tant de peine,
De souffrance et de mort, que l’on me croit à peine ;
Je repars car mon rôle est de les colporter. »
Aussitôt disparu, je sentis de l’orient
Un vent très agressif qui soufflait par rafales.
Il semblait très nerveux, me faisait presque mal
En pénétrant l’oreille, rudement, en hurlant :
« On m’appelle Levant parce que je viens de l’est.
Je suis irascible et irrité à la fois.
Lorsque je t’aurai dit et comment et pourquoi,
Je pourrai repartir vers mon destin funeste.
Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées
Qui, aux temps d’autrefois, ressemblaient à l’Eden,
De Bagdad à Damas, de Beyrouth à Khephren,
Où beaucoup de contes et de légendes sont nés.
Qu’ils étaient beaux ces temps où les pays d’orient
Dormaient, d’un sommeil juste, sur tout leur noir pétrole,
Jusqu’à ce qu’ils deviennent cet or noir des bagnoles
Et attirent les puissants très avides d’argent.
La vie n’a plus de prix puisque c’est le baril
Qui de loin est devenu le plus important !
Foin des vieux éclopés, des femmes et des enfants
Qui n’opposent que leurs cœurs aux instincts imbéciles.
Tous les jours, c’est tueries, carnages et attentats,
Au profit de très riches souhaitant devenir
Toujours un peu plus riches, en espérant jouir
De leurs milliards puants même après le trépas !
Je ne t’ai pas tout dit, mais je dois m’en aller
Car je sais qu’on m’attend, là bas, vers mon orient.
Donne-moi de ta paix, c’est le seul pansement
Que j’aurai à offrir une fois retourné. »
Encore traumatisé, je sentis d’occident
Un vent très sûr de soi, qui faisait des manières.
Son air condescendant le rendait plus que fier,
Et il me fit l’honneur de dire, suffisant :
« On m’appelle Ponant parce que je viens de l’ouest.
Je me demande bien ce que je fais par là.
Mais puisque c’est ainsi, je t’offre une saga
Avant de repartir dans mon cher Far West.
Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées
Où tout est neuf et beau mais aussi très puissant.
Les gens vénèrent un dieu, un seul et c’est l’argent.
Rien n’existe pour eux qui ne peut s’acheter.
Il y a trois cents ans que tout a commencé,
Quand des bons de chez vous sont partis en bateaux,
Délivrer notre terre de ces vendeurs de peaux
Qui hurlaient moitié nus et tout peinturlurés.
La civilisation est ensuite apparue.
Nous sommes allés chercher des nègres par millions
Pour nos plus sales besognes et nos champs de coton,
Et pour bâtir des villes aux belles avenues.
Ensuite ce furent les guerres où nous avons sauvé
Chaque fois vos pays de grandes catastrophes,
Car vos piètres armées, bien souvent trop amorphes,
Ont fait appel à nous pour être libérées.
Tu comprends mieux pourquoi nous sommes devenus
Les plus grands, les plus forts et les maîtres du monde.
Assez de temps perdu ; je m’en vais sans faconde,
Après que tu m’aies dit : « Merci d’être venu » ! »
Je me retrouvai seul et tout désemparé,
Assis sur mon rocher, au bord du grand ravin.
Et je ne savais plus si la voie du destin
Etait de m’en aller ou bien de me jeter…
Et mon cœur est venu caresser mon esprit
Qui était tout meurtri et avait trop souffert
D’entendre ces malheurs et tous ces faits de guerre
Que chacun de ces vents avaient trop bien appris.
Et puis il m’a montré la voie de la beauté
Et ses sommets brillants sur un fond de ciel bleu.
J’ai alors entendu un air doux et joyeux
Qu’un vent, tout intérieur, commençait d’entonner…
Robert FAUCHER, le 15 octobre 2014.