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Les synthèses de Robert
24 juin 2016

LE DISCOURS DES VENTS

le discours des vents

 

 

Un jour, dans la montagne au relief escarpé,

Après avoir marché depuis un long moment,

J’ai senti le besoin de souffler un instant

Avant de repartir vers un monde enneigé.

 

Je cherchai, alentour, un endroit un peu plat

Qui s’offrirait à moi et voudrait m’accueillir.

C’est alors que j’ai oui comme un profond soupir ;

Il venait d’un rocher un peu en contrebas.

 

Je m’approchai de lui et il m’ouvrit son cœur.

Il était allongé au bord d’un grand ravin.

Je me suis étendu sur lui et j’étais bien…

Sa froideur minérale était un chaud bonheur !

 

Je laissai mon regard s’abreuver d’infini,

S’accrocher sur des pics très fiers, droit devant moi,

Et puis plonger soudain, avec un grand effroi,

Au fond du précipice, tout brumeux et transi.

 

Mon esprit embrassait cet éden éthéré,

Quand une brise fraîche, à moi, est parvenue.

Elle venait m’annoncer, haletante et émue,

Que les vents la suivaient et voulaient me parler.

 

Je sentis, tout à coup, un souffle très puissant

Que je reçus de face, faisant cligner mes yeux.

Et j’entendis alors, surgies tout droit des cieux,

Des paroles très froides et ainsi commençant :

 

« On m’appelle Aquilon parce que je viens du nord.

J’ai beaucoup à te dire mais je n’ai guère de temps,

Car l’arrêt de mon souffle pour un trop long moment

Equivaudrait pour moi à mon arrêt de mort.

 

Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées

Sans vie et sans couleurs, où domine le blanc.

Pourtant il y fait noir de nombreux jours par an

Et quand il y fait jour, on dit que c’est l’été.

 

Les hommes n’habitent pas un endroit aussi froid,

Hormis les esquimaux appelés inuits,

Qui en sont les seigneurs et qui ont comme suite

Des phoques et des huskies et des rennes aux longs bois.

 

Ce grand désert glacial était un paradis

Jusqu’à ce qu’un beau jour, certains « civilisés »,

Se croyant supérieurs, ont voulu enseigner

Ces braves autochtones qui avaient tout compris.

 

Ils leur ont amené alcool et cigarettes

Et bien d’autres poisons et tant de maladies,

Et l’argent qui corrompt et les jeux, les paris,

Et tout ce qui pouvait leur faire perdre la tête.

 

Je suis triste, vois-tu, de devoir repartir

En ayant témoigné de tous ces vilains maux

Dont je suis tout gorgé quand je viens de là-haut,

Mais je dois te quitter, sinon je vais mourir. »

 

C’est alors que, soudain, je sentis dans mon dos

Le souffle d’un vent chaud qui semblait épuisé.

Il avait dû peiner pour autant haleter,

Mais arrivé à moi, il prononça ces mots :

 

« On m’appelle l’Autan parce que je viens du sud.

Je suis très fatigué, desséché, mais crois-moi,

Je suis le messager de très nombreuses croix

Et mon temps est compté et mon cap est très rude.

 

Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées

Où la vie et la mort jouent toujours à cache-cache,

Où la loi des machettes et où la loi des haches

Font office de règles à tant de sociétés.

 

Le désert est partout, trop aride et brûlant.

Tout y est décharné : les hommes et puis les bêtes,

Les femmes et leurs seins plats reposant sur la tête

De leur petit enfant déjà, souvent, mourant.

 

Et dans bien des pays, le sida fait ravage.

Au milieu des malheurs, des grandes turpitudes,

On essaye d’oublier que la vie est trop rude

En jouant à l’amour ; ça finit en carnage…

 

Parfois des génocides font des tas de tués,

Et les « civilisés » ne voient rien à redire,

Parce que dans ces pays où se produit le pire,

Les sous-sols n’offrent strictement rien à gratter !

 

Mon cœur est très amer de devoir te quitter

En ayant déversé dans le tien tant de peine,

De souffrance et de mort, que l’on me croit à peine ;

Je repars car mon rôle est de les colporter. »

 

Aussitôt disparu, je sentis de l’orient

Un vent très agressif qui soufflait par rafales.

Il semblait très nerveux, me faisait presque mal

En pénétrant l’oreille, rudement, en hurlant :

 

« On m’appelle Levant parce que je viens de l’est.

Je suis irascible et irrité à la fois.

Lorsque je t’aurai dit et comment et pourquoi,

Je pourrai repartir vers mon destin funeste.

 

Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées

Qui, aux temps d’autrefois, ressemblaient à l’Eden,

De Bagdad à Damas, de Beyrouth à Khephren,

Où beaucoup de contes et de légendes sont nés.

 

Qu’ils étaient beaux ces temps où les pays d’orient

Dormaient, d’un sommeil juste, sur tout leur noir pétrole,

Jusqu’à ce qu’ils deviennent cet or noir des bagnoles

Et attirent les puissants très avides d’argent.

 

La vie n’a plus de prix puisque c’est le baril

Qui de loin est devenu le plus important !

Foin des vieux éclopés, des femmes et des enfants

Qui n’opposent que leurs cœurs aux instincts imbéciles.

 

Tous les jours, c’est tueries, carnages et attentats,

Au profit de très riches souhaitant devenir

Toujours un peu plus riches, en espérant jouir

De leurs milliards puants même après le trépas !

 

Je ne t’ai pas tout dit, mais je dois m’en aller

Car je sais qu’on m’attend, là bas, vers mon orient.

Donne-moi de ta paix, c’est le seul pansement

Que j’aurai à offrir une fois retourné. »

 

Encore traumatisé, je sentis d’occident

Un vent très sûr de soi, qui faisait des manières.

Son air condescendant le rendait plus que fier,

Et il me fit l’honneur de dire, suffisant :

 

« On m’appelle Ponant parce que je viens de l’ouest.

Je me demande bien ce que je fais par là.

Mais puisque c’est ainsi, je t’offre une saga

Avant de repartir dans mon cher Far West.

 

Alors, écoute-moi. Je viens de ces contrées

Où tout est neuf et beau mais aussi très puissant.

Les gens vénèrent un dieu, un seul et c’est l’argent.

Rien n’existe pour eux qui ne peut s’acheter.

 

Il y a trois cents ans que tout a commencé,

Quand des bons de chez vous sont partis en bateaux,

Délivrer notre terre de ces vendeurs de peaux

Qui hurlaient moitié nus et tout peinturlurés.

 

La civilisation est ensuite apparue.

Nous sommes allés chercher des nègres par millions

Pour nos plus sales besognes et nos champs de coton,

Et pour bâtir des villes aux belles avenues.

 

Ensuite ce furent les guerres où nous avons sauvé

Chaque fois vos pays de grandes catastrophes,

Car vos piètres armées, bien souvent trop amorphes,

Ont fait appel à nous pour être libérées.

 

Tu comprends mieux pourquoi nous sommes devenus

Les plus grands, les plus forts et les maîtres du monde.

Assez de temps perdu ; je m’en vais sans faconde,

Après que tu m’aies dit : « Merci d’être venu » ! »

 

Je me retrouvai seul et tout désemparé,

Assis sur mon rocher, au bord du grand ravin.

Et je ne savais plus si la voie du destin

Etait de m’en aller ou bien de me jeter…

 

Et mon cœur est venu caresser mon esprit

Qui était tout meurtri et avait trop souffert

D’entendre ces malheurs et tous ces faits de guerre

Que chacun de ces vents avaient trop bien appris.

 

Et puis il m’a montré la voie de la beauté

Et ses sommets brillants sur un fond de ciel bleu.

J’ai alors entendu un air doux et joyeux

Qu’un vent, tout intérieur, commençait d’entonner…

 

Robert FAUCHER, le 15 octobre 2014.

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