LES TROIS ÉCUS D'OR
Un jeune châtelain vivait dans l’opulence.
Son grand-père à Noël lui plaça dans la main
Trois jolis écus d’or en gardant le silence
Et nota ce présent sur un vieux parchemin.
Le garçon, tout ému, fit une révérence
Pour marquer cet égard délicat et discret,
Manifester aussi toute sa déférence
Et sa complicité pour garder le secret.
Il alla s’isoler et laissa ses pensées
Vagabonder parmi tous ses nombreux désirs,
Sans même savoir que les sommes dépensées
Troqueraient, chez les gueux, le vital aux plaisirs.
C’est alors qu’une fée apparue en un songe
A su trouver la voie étroite de son cœur,
Et montrer que souvent la vie est un mensonge
Qui réserve au plus faible et malheur et rancœur.
Il sortit du château mû par sa conscience
Et laissa le hasard guider sa charité ;
Nul besoin de discours pas plus que de science
Pour combattre le mal et la précarité.
Il croisa tout d’abord une bien jeune mère
Et son bébé transi par la neige et le froid,
Qui traînait son destin et sa douleur amère
Jusqu’au pied de l’église en dessous du beffroi.
Sa sébile tinta de l’obole implorée
Et se mit à darder d’un jaune étincelant ;
La femme n’en put mais en voyant, éplorée,
Cet enfant qui sauvait son être chancelant.
De ses deux mains gelées elle enserra les siennes ;
De ses yeux incrédules perlèrent quelques larmes ;
Elle avait tant chanté de longues antiennes ;
Elle allait transformer cet or en pains de charme.
Il aperçut ensuite un pauvre misérable
Qui pleurait en rentrant dans sa vieille maison.
Son chagrin était lourd et si considérable
Qu’il cherchait un refuge au sein de l’oraison.
Il aurait tant voulu, pour sa chère compagne,
Offrir de beaux souliers et deux jolis tailleurs.
Il avait en tous sens arpenté la campagne
Et n’avait rien gagné, ni ici, ni ailleurs.
Un enfant s’approcha de lui, la main tendue
Qu’il saisit par dépit en sentant la rondeur
D’une pièce en bel or, vraiment inattendue,
A l’éclat du soleil, aux reflets de splendeur.
Il serra de nouveau la main de providence
Le regard embué et le menton tremblant :
Grâce au petit garçon, c’était une évidence,
Son rêve deviendrait réel, sans faux semblant.
Il croisa, pour finir, le curé du village
Avec une soutane en état bien piteux
Qui laissait voir, hélas, pieux rafistolage,
Bon nombre de coutures et trous un peu miteux.
Il allait marier la fille de la reine
Mais devait, pour cela, changer de vêtement.
Le seigneur lui avait remis la bourse pleine
Afin qu’il pût servir l’office honnêtement.
Mais il avait reçu ses voisins les plus proches
Venus le visiter pour lui dire leur peur ;
Ils n’avaient plus un sou dans aucune des poches
Et le froid de l’hiver augmentait la torpeur.
Il avait tout donné et sa bourse était vide ;
Son cœur avait couru vers ces gens, sans penser ;
Maintenant la raison l’avait rendu livide :
Il n’avait, à son tour, plus rien à dépenser.
Le garçonnet suivit le prêtre dans sa cure
En étant très touché par la pure grandeur
De ce clerc ayant fait don de sa sinécure
Par générosité et par noble candeur.
C’est alors qu’il posa de façon très visible
Le dernier écu sur le grand livre ouvert,
Que le curé verrait en relisant sa Bible
Remerciant le Ciel de l’avoir découvert.
Le garçon, appauvri des trois pièces données,
Se trouva plus encore enrichi du bonheur
D’avoir été, un jour, d’âmes abandonnées,
Le chemin et la voix, l’espérance et l’honneur.
Robert FAUCHER, le 28 décembre 2011.