La synthèse qui suit s'est inspirée de l'article, publié dans le Monde Diplomatique de novembre 2013, par Madame Lori WALLACH, présidente de l'association américaine Global Watch Commerce, une division de l'association Public Citizen qui surveille de très près l'Organisation Mondiale du Commerce ainsi que tous les contrats commerciaux internationaux.

I/ OBJECTIF DU TRAITE

L’Accord de Partenariat Transatlantique (A.P.T.) négocié depuis juillet 2013 par les Etats-Unis et l’Union Européenne est une version modifiée et plus contraignante de l’A.M.I. (Accord Multilatéral sur l’Investissement) négocié secrètement quinze ans plus tôt par les mêmes Etats-Unis avec les vingt-neuf pays de l’O.C.D.E. (Organisation de Coopération et de Développement Economique), mais qui dut être abandonné lorsque le public prit connaissance de ses dispositions scandaleuses. Et le voilà qui refait surface, habillé différemment, mais encore plus destructeur pour les pays européens. Son principe de base est très clair et très simple : les législations en vigueur dans les pays des deux côtés de l’Atlantique doivent se plier aux normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises américaines et européennes sous peine de sanctions commerciales pour le pays contrevenant ou de réparations de plusieurs millions d’euros au bénéfice des plaignants.

II/ ASSEOIR LA PRIMAUTE DES PRIVILEGES DES MULTINATIONALES

Lorsqu’il sera entré en vigueur, les privilèges des multinationales auront force de loi et lieront une fois pour toutes les mains des gouvernants. Imperméable aux alternances politiques ou aux manifestations populaires, il s’appliquerai de gré ou de force puisque ses dispositions honteuses ne pourront être amendées qu’à… l’unanimité des pays signataires ! Ce ne sera qu’un copier-coller de l’Accord de Partenariat Transasiatique (T.P.P. pour Trans-Pacific Partnership). A.P.T. plus T.P.P. formeront ainsi un empire économique capable de dicter ses conditions hors de ses frontières car tout pays qui voudra nouer des liens commerciaux avec les Etats-Unis ou l’Union Européenne se verra contraint d’adopter telles quelles l’intégralité des règles prévalant au sein de leur « marché commun ».

III/ LE CONTEXTE DE LA GESTATION DU TRAITE

Parce qu’elles visent à démolir des pans entiers du secteur non marchand, les négociations autour de l’A.P.T. et du T.P.P. se déroulent toujours derrière des portes closes car rien de doit filtrer. Les journalistes et les citoyens doivent être laissés dans l’ignorance : ils seront informés à la signature du traité, une fois qu’il sera trop tard pour réagir ! La « discrétion » à l’égard des peuples se conçoit aisément car les pouvoirs de toutes les institutions, du sommet de chaque Etat aux conseils municipaux de chaque ville ou village, seront quasi nuls. Tous les hommes publics, à quelque niveau qu’ils se trouvent, devront revoir leur politique de façon à satisfaire ou ne pas entraver les intérêts du privé dans des secteurs qui lui avaient échappé jusqu’alors : sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté de l’internet, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration…, pas un domaine d’intérêt général qui ne passe sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.

IV/ CREATION DE TRIBUNAUX SPECIAUX

Les pays signataires auront l’obligation de mettre en conformité leurs lois, règlements et procédures avec les dispositions du traité, sinon, ils pourront être traînés par les multinationales devant l’un des tribunaux créés pour faire condamner les états récalcitrants. Cette idée ne fait qu’institutionnaliser une pratique déjà courante qui a vu l’Union Européenne, sur plainte de l’O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce), condamnée à payer plusieurs centaines de millions de dommages-intérêts pour avoir refusé d’importer des Etats-Unis des O.G.M. (Organismes Génétiquement Modifiés). La nouveauté créée par le traité est qu’il permettra aux firmes multinationales de poursuivre directement et en leur nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur abattage commercial… ! Composés de trois avocats d’affaires, ces tribunaux spéciaux, répondant aux lois de la Banque Mondiale et de l’O.N.U. (Organisation des Nations Unies), seraient habilités à prononcer des sanctions financières très lourdes à l’encontre de pays dont la législation « inadaptée » rognerait sur les « profits futurs espérés » d’une multinationale. La puissance du système juridictionnel mis en place est encore accrue par le fait que les trois avocats n’ont à rendre de comptes à aucun électorat puisqu’ils sont nommés. De plus, ils pourront, selon les dossiers, revêtir la casquette de juges ou celles de défenseurs des intérêts de leurs puissants clients. Quinze avocats se partagent cinquante-cinq pour cent des dossiers internationaux ; bien sûr, leurs décisions seront sans appel !

V/ LES PROCEDURES

Il n’y a pas de limite aux pénalités qu’un tribunal peut infliger à un Etat au bénéfice d’une multinationale. Il y a peu, l’Equateur s’est vu condamner à verser la somme record de deux milliards d’euros à une compagnie pétrolière. Et même si un Etat gagne son procès, les frais de justice et de commissions diverses s’élèvent en moyenne à huit millions de dollars par dossier « gagné », argent qui va on se sait où mais qui sort bien de la poche des contribuables ! Les Etats ont intérêt à négocier plutôt que se trouver embarqués dans une procédure. C’est dans cet esprit que l’Etat canadien s’est épargné une convocation à la barre en abrogeant à la hâte l’interdiction d’un additif toxique utilisé par l’industrie pétrolière… ! Le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux a été multiplié par dix depuis 2000 et a littéralement explosé à partir de 2012.

VI/ PUISSANCE D’UN LOBBY

Le projet de grand marché américano-européen a été porté par le D.E.T (Dialogue Economique Transatlantique), mais depuis 1995, année de sa création, un lobby a pris de relai : le T.A.B.C. (Trans-Atlantic Business Council), né sous l’égide de la Commission Européenne et du ministère du commerce américain. Il s’agit là d’un rassemblement de très riches entrepreneurs qui militent pour un « dialogue hautement constructif » entre les élites économiques des deux continents, l’administration américaine et les commissaires de Bruxelles. Le T.A.B.C. est donc un forum permanent qui permet aux multinationales de coordonner leurs attaques contre les politiques d’intérêt général qui tiennent encore debout des deux côtés de l’Atlantique.

VII/ LE TRAITE COMME OUTIL D’ASSERVISSEMENT

Les activistes du marché transatlantique se proposent de réécrire eux-mêmes les « textes de régulation » qui auront force de loi dans les Etats signataires, et les multinationales se montrent d’une très grande franchise dans l’exposé de leurs intentions.

Sur la question des O.G.M. par exemple, les industriels de l’agro-alimentaire, américains et européens, poussent pour interdire l’apposition d’un label sur chaque produit contenant des O.G.M. et même mieux : Monsanto s’indigne que des produits contenant des O.G.M. et vendus aux Etats-Unis puissent essuyer un refus de vente sur le marché européen : il compte fermement sur le traité pour mettre un terme à cette ineptie !

Sur le front de la vie privée, les multinationales du Net et des hautes technologies pressent les négociateurs de l’A.P.T. de lever les barrières empêchant les flux de données personnelles de s’épancher librement de l’Europe vers les Etats-Unis.

Les normes de qualité dans l’alimentation sont elles aussi prises pour cibles par les multinationales. L’industrie américaine de la viande entend obtenir la suppression de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés au chlore. De même, l’Institut Américain de la Viande déplore le rejet, injustifié par Bruxelles selon lui, des viandes additionnées de bêta-agonistes (substances chimiques utilisées pour augmenter la masse musculaire et diminuer le taux de graisse). Parmi les bêta-agonistes figure la ractopamine, médicament utilisé par les américains pour augmenter la teneur en viande maigre chez les porcs et, très accessoirement, particulièrement dangereux pour la santé des animaux et celle des consommateurs ! Ce médicament est refusé par cent soixante pays dans le monde, dont les Etats européens. Et bien la filière porcine américaine considère cette mesure de protection comme une entrave à la libre concurrence à laquelle l’A.P.T. devra mettre un terme d’urgence.

Il en va de même pour les gaz à effet de serre. L’organisation A4A (Airlines for America), bras armé des transporteurs aériens américains, a établi une liste des règlements inutiles qui portent un préjudice considérable à leur industrie et que l’A.P.T. a vocation à supprimer. Parmi ces règles figure la taxation, en Europe, des avions des compagnies aériennes pour leur pollution au carbone ; Bruxelles a suspendu cette mesure et l’A4A réclame sa suppression définitive au nom du « progrès ».

Dans le secteur de la finance, les négociateurs américains et européens considèrent qu’après la crise des subprimes, la régulation de l’industrie financière avait fait son temps. Le cadre qu’ils vont mettre en place prévoit de lever tous les garde-fous en matière de placements à risques et d’empêcher les gouvernements de contrôler le volume, la nature ou l’origine des produits financiers mis sur le marché : en un mot, il s’agit purement et simplement de rayer le mot « régulation » de la carte.

VIII/ LES NEGOCIATIONS S’INTENSIFIENT

On a la ferme impression que les dirigeants européens sont prêts à n’importe quoi pour raviver une croissance économique moribonde, fût-ce au prix d’un reniement de leur pacte social. L’argument des défenseurs de l’A.P.T. selon lequel le libre-échange dérégulé facilitera les échanges commerciaux et sera créateur d’emplois pèse bien plus lourd que la crainte d’un séisme social.

Les partisans de l’A.P.T. admettent que leur objectif premier n’est pas d’alléger les contraintes douanières mais d’imposer la suppression de politiques nationales superflues, étant considéré comme superflu tout ce qui ralentit l’écoulement des marchandises, lutte contre le réchauffement climatique et exerce une démocratie !

Toutes les études sur l’A.P.T. ont été financées par des institutions favorables au libre-échange ou par des organisations patronales, raison pour laquelle les coûts sociaux du traité n’y apparaissent pas, pas plus que ses victimes directes qui pourraient pourtant se compter en centaines de millions d’individus.

* ET, pour les amoureux de la gastronomie :

- disparition programmée de l’utilisation du lait cru et de ses produits dérivés (crèmes, fromages…) à cause d’une politique hygiéniste américaine imposant des normes absolument insoutenables pour des petits producteurs européens, incapables LE Tde réaliser les aménagements imposés ; seules les immenses structures auront les moyens de respecter les « normes » en étant les seules à pouvoir les financer ;

- coup fatal porté à la viande de bœuf par l’industrie bovine américaine à cause de prix très bas pratiqués, rendus possibles par des aides conséquentes reçues par les « agriculteurs », l’utilisation de produits chimiques ou de médicaments dont ils bourrent les animaux soit par injection, soit en les mettant dans leurs aliments, le non-respect du bien-être animal, l’absence de traçabilité… ;

- les A.O.P. (Appellation d’Origine Contrôlée) ainsi que les I.G.P. (Indication Géographique Protégée) vont être supprimées, pour permettre aux multinationales américaines d’utiliser toutes les grandes marques jusqu’alors protégées et pour vendre, en France et en Europe, du Champagne du Missouri, du Reblochon des Rocheuses, du Munster de l’Arizona, du Châteauneuf-du-Pape du Texas, du Bas-Armagnac de Floride, de la Chartreuse de Californie, du Broyé du Wisconsin…

TOUT CECI A AU MOINS LE MERITE D’ETRE CLAIR ET

L’ON NE POURRA PAS DIRE

QUE L’ON N’ETAIT PAS AU COURANT… !!!

LE TRAITE TRANSATLANTIQUE

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